DEPISTAGE...

Texte de AFPS 49 (Marc Monneau, Rémi Brun, Alain Ecuyer)

Tout d'abord une remarque préliminaire concernant cette réunion : on nous demande de présenter des remarques et des suggestions concernant la prise en charge des troubles spécifiques du langage alors qu'en fait, si nos informations sont exactes, il existe déjà un plan gouvernemental arrêté à ce sujet.

Le juste intérêt que suscite les difficultés d'apprentissages, ainsi que la souffrance des parents et des enfants qui y sont confrontés font partie des préoccupations quotidiennes des psychologues scolaires.Cela ne doit pas nous empêcher d'avoir un regard critique sur ce qui est proposé dans ce plan.

Nous commencerons donc par faire un certain nombre de remarques à propos de celui-ci.

Ce document, malgré un certain nombre de précautions et de formules qui se veulent rassurantes et sur lesquelles nous allons revenir immédiatement, confirme nos craintes sur la nouvelle politique concernant l'analyse des difficultés et les interventions auprès des enfants présentant dans le cadre scolaire des problèmes d'accès au langage parlé et écrit.

Nous illustrerons ces craintes en reprenant quelques formules du document lui-même.

Le texte dit par exemple : "La reconnaissance officielle d'un trouble spécifique du langage...ne représente pas l'adhésion passive à un courant de pensées ou de recherches plutôt qu'à un autre".

Le contenu du plan d'action présenté nous semble au contraire privilégier principalement un abord cognitiviste, fonctionnaliste et organiciste des difficultés d'appprentissage du langage.

Toute la logique des démarches de repérage, de dépistage et de prise en charge spécialisée préconisées par le texte en atteste. Les outils qui commencent d'ailleurs à être utilisé pour le dépistage sont directement issus de recherches universitaires s'inscrivant dans ce courant.

Cet abord de ce que le texte appelle : "troubles spécifiques du langage", terminologie officielle vient remplacer les termes de dyslexie et de dysphasie, à connotation sans doute trop explicitement médicale. Les thèses concernant les explications étiologiques des troubles du langage et l'efficacité des prises en charge préconisées sont, le texte le dit d'ailleurs lui-même, hypothétiques et à notre avis ne concernent qu'un nombre très réduit d'enfants. (Nous reviendrons plus loin sur ce point).

Autre affirmation : le texte se défend de vouloir "hypermédicaliser les réponses".

Cette formule reconnaît implicitement que le plan n'évite pas la médicalisation mais uniquement l'hypermédicalisation et c'est bien ce risque de médicalisation que nous dénoncions précédemment. Et c'est bien à cela que toute la logique de ce plan aboutit.

Il est intéressant de décrire cette logique.

1- On isole tout d'abord une difficulté, concernant ici le langage oral ou écrit (mais plus tard le même procédé pourra concerner le calcul, l'orthographe voire divers manifestations comportementales (ceci est déjà dans les cartons de certaines associations). C'est ce premier temps qui est caractérisé par l'emploi du terme "spécifique".

2 - On baptise ensuite cette difficulté trouble, terme à connotation médicale et largement utilisé dans les classifications anglo-saxonnes tout en évitant comme nous le disions plus haut le préfixe dys. C'est sans doute ce que le texte appelle: ne pas tomber dans l'hypermédicalisation !

3 - On fait enfin logiquement appel aux spécialistes du monde médical et para-médical qui deviennent seuls habilités à intervenir sinon à superviser les procédures de dépistage et de prise en charge : médecins de PMI, médecins scolaires, orthophonistes, centres médicaux spécialisés, réseaux de professionnels de santé.

4 - Enfin, on laisse supposer ainsi (mais la chose est clairement énoncée dans le cadre des diverses associations de cette mouvance) que l'origine de ces troubles se situerait au niveau de dysfonctionnements neuropsychologiques donc dans un domaine réservé à l'investigation et à l'intervention médicale somatique.

Il est à noter que l'ensemble de ce schéma, allant de la caractérisation du trouble à sa prise en charge médicale et paramédicale, tend à évacuer comme étant des facteurs non-déterminants, les facteurs sociaux, culturels, pédagogiques, éducatifs et psychologiques. Ceux-ci sont pourtant reconnus par les professionnel de terrain, enseignants des classes, enseignants spécialisés, rééducateurs, psychologues scolaires, membres des équipes de pédo-psychiatrie et même orthophonistes, comme primordiaux dans la survenue des difficultés concernant l'accès au langage parlé et écrit.

Est-ce par ce qu'il renonce à traiter les problèmes de fond concernant les conditions de vie familiale, sociale et scolaire de l'enfant que le gouvernement écoute et s'en remet aux sirènes de l'explication neuro-cognitive et du traitement instrumental de ces difficultés ?

L'expérience quotidienne de ces professionnels les amène également à constater que ces difficultés ne sont que très rarement spécifiques c'est à dire qu' ils n'apparaissent que très rarement seules mais sont associées le plus souvent dans un cadre symptômatologique plus global à d'autres retards dans le développement ou à des difficultés d'ordre comportementale.

Sans vouloir évacuer l'existence d'une possible origine neurologique à ces troubles, cette origine spécifique ne saurait concerner à notre avis qu'un nombre infime d'enfants par rapport à ceux qui présentent des difficultés d'apprentissage. Si ce plan d'action s'adresse uniquement à ce type d'enfant, la démarche peut paraître justifiée mais cela ne nous semble pas être le cas étant donné les pourcentages avancés (4 à 5, voire 10 pour cent selon les sources), la publicité et la mobilisation faite à son propos et les moyens engagés. Il y a là un glissement qui vise à assimiler les troubles du langage et les difficultés en lecture / écriture.

Ce plan nous paraît plutôt représenter les prémisses d'une approche très fonctionnaliste et mécaniste des difficultés d'apprentissage chez l'enfant, concevant la vie mentale de l'enfant comme étant le réceptacle de fonctions cognitives qui peuvent s'avérer déficientes et qu'il faudrait le cas échéant rééduquer de manière isolée sous forme de rééducations diverses voire traiter de manière purement médicale.

Cette approche fait l'impasse sur l'intrication de ces fonctions avec la globalité de la vie psychique de l'enfant, sur la question de l'énergie nécessaire à leur fonctionnement et enfin sur le sens qu'elles peuvent avoir pour l'enfant lui-même dans le rapport qu'il entretient avec son monde interne et avec le monde extérieur.

Bien d'autres dangers nous apparaissent concernant ce plan, et en particulier le risque de déresponsabilisation des enseignants et des familles voire des enfants, l'effet de leurre créé chez les familles, la remise en cause des structures d'aide interne à l'école et des démarches actuellement mise en oeuvre et le développement, comme le texte le prévoit d'ailleurs, des professions para-médicales et en particulier du nombre d'orthophonistes pour la prise en charge des enfants.

Nous terminerons ce propos par quelques remarques sur ce que devrait être à notre avis les principes des démarches d'aide.

Les difficultés d'accès des enfants aux langages parlé ou écrit et aux divers apprentissages est un problème complexe impliquant bien sûr l'enfant mais ausi l'ensemble des cadres dans lequel il vit : l'école, la famille et l'environnement social.

L'approche de ces difficultés ne doit donc pas être unilatérale mais globale. Elle doit partir d'une analyse réellement globale des facteurs en jeu, sans en éliminer à priori aucun, et mettre en oeuvre à la suite de cette analyse des stratégies de remédiations pluridisciplinaires. Ces stratégies sans négliger la difficulté elle-même dans son versant manifeste doivent tout d'abord travailler sur le contexte pédagogique, relationnel, psychologique et social dans lequel elle apparaît.

Cette démarche est celle qui est de plus en plus mise en oeuvre par les psychologues scolaires dans le cadre de leur travail au sein des réseaux d'aide, en associant également les familles à l'analyse et à la remédiation de la difficulté. Elle se butte néanmoins à l'absence de coordination concernant les différents corps spécialisés chargés en France de l'aide aux enfants en difficulté : RASED, orthophonistes en libéral, médecins scolaires, secteurs de pédopsychiatrie, services sociaux, CMPP, SESSAD, etc...

Une réflexion concernant l'articulation de ces corps professionnels, la définition de leurs missions afin qu'elles soient réellement complémentaires et non "chevauchantes" voire concurrentes, la création d'instances communes de réflexion et de régulation seraient pour nous le meilleur moyen d'améliorer l'analyse et la prise en charge cohérente des enfants en difficulté dans les différents domaines de leur développement et dans celui, entre autre, de l'accès au langage.

L'enjeu reste principalement celui de favoriser les conditions d'un enseignement toujours mieux ajusté aux élèves, qui prend en compte leur développement, qui cible au mieux leurs besoins et qui met en oeuvre les aides appropriées. Nous ne sommes pas seuls dans cette recherche. Permettez-nous de conclure en citant Monique Plazza, Chargée de recherche au CNRS dans le cadre du laboratoire cognition et développement, et Colette Ouzilou, orthophoniste auteur du récent ouvrage "Dyslexie une vraie fausse épidémie".

Monique Plazza termine ainsi son article "Pour un modèle intégratif des dyslexies de l'enfant" (Psychologie Education Décembre 2001)

"Les notions de "dyslexie" et de "troubles spécifiques du langage écrit" sont positives si elles permettent de rendre l'école, les parents et les intervenants du secteur de la santé plus attentifs aux difficultés d'apprentissage des enfants, si elles conduisent à un repérage précoce de ces difficulté, (avant que l' enfant ne les enkystent) et si elles permettent un réelle prise en charge, associant remédiation spécifique, méthode pédagogique, et action socio-culturelle. Mais leur enfermement dans une représentation segmentaire et simplificatrice, telle qu'elle se profile aujourd'hui, risque de conduire à des impasses. On est en train de faire passer le balancier après la vogue du tout psycho-affectif, du côté du tout instrumental ou du tout cérébral. Ainsi simplifiée, la notion de dyslexie devient réductrice, voire néfaste dans la mesure ou elle déresponsabilise l'école, médicalise à l'extrême les difficultés des enfants, dénie l'influence des facteurs sociaux..."

Et l'orthophoniste Colette Ouzilou, dans Télérama du 9 janvier 2002 :

"La dyslexie est une pathologie rare qui nécessite une rééducation souvent très longue. Le gouvernement va dépenser un fric fou pour "dépister" des enfants tout à fait normaux au lieu de consacrer le même argent à la formation d'instituteurs qui manquent cruellement de connaissances en phonétique."