"LAURA" ou "ATTENDEZ-MOI, JE N'EN SUIS PAS LA"

Une expérience de pratique professionnelle ...

 

Laura est en CE1. Nous sommes au 2ème trimestre. Elle a été signalée au Réseau pour des difficultés avec la langue écrite (lecture et surtout orthographe).

Je la suis depuis la fin du 1er trimestre et des progrès sont perceptibles, tant au niveau de l'attitude (confiance en elle, communication) que des résultats.

 

Mon propos est ici de montrer l'intérêt d'une articulation fine entre le maître E et l'enseignant(e) de la classe, les observations faites en séance d'aide pédagogique spécialisée s'avérant utiles à la compréhension des acquis et compétences de l'élève en difficulté et permettant de fixer des objectifs adaptés.

 

1. Laura, pour des raisons familiales (par ailleurs identifiées et "traitées"), n'a pas terminé l'apprentissage du code écrit durant son CP. Elle se situe au niveau du stade alphabétique (voir Frith), c'est à dire qu'elle est en train de construire les relations grapho-phonologiques. Elle explore les combinaisons et les conceptualise petit à petit. Ainsi elle apprend à différencier "m" et "n", signes graphiques proches, en les associant aux sons, proches eux aussi, [m] et [n], ce qui n'est déjà pas si simple pour elle. Lors d'une séance parmi d'autres, nous nous entraînons à reconnaître rapidement ces différences et à en verbaliser les caractéristiques.

En classe, (programme et groupe de 28 élèves obligent), la dernière leçon vue concernait la règle de "am / em / om / im" devant "m, b, p", et fait l'objet d'une évaluation ce jour-là.

Mesure-t-on vraiment le dilemne auquel Laura est confrontée le même jour ?

"m" et "n" sont-ils différents,(à savoir différencier nettement ?) Ou ont-ils la même valeur (comme dans "an" et "am") ?

 

D'autre part, je m'aperçois que Laura commence à mémoriser les différents sons de la lettre "g" ([g] comme dans "gorille" ou [ j ] comme dans "girafe"). Elle a encore parfois quelques hésitations pour retenir qu'avec "e" et "i", c'est le son [ j ], et qu'avec les autres voyelles ("a", "u" et "o"), c'est le son [g]).

Il se trouve qu'en classe, le contrôle du jour porte sur le son [ j ], mais avec les exceptions telles que "plongeoir", "orangeade",...

Re-dilemne:

la lettre "g" (pas commode décidément!) doit-elle se lire [g] avec "a" (comme dans [gato] - "gateau" -alors qu'elle fait [ j ] dans [oràjad] - "orangeade" - ) ?

 

2. On le voit, Laura a peu de chances de clarifier ses connaissances grapho-phonétiques en étant soumise à ces situations contradictoires. Tant que les règles de combinatoire simple n'auront pas été assimilées, il y a danger (pour cette enfant-là) à aborder d'autres relations venant contredire les premiers acquis.

 

Le décalage entre les évaluations proposées concernant plutôt des compétences liées au stade orthographique, (mémorisation des particularités de la langue, approche globale-analytique ) et le niveau réel d'apprentissage de l'enfant (stade alphabétique) freine le développement de ce stade, (et à plus forte raison celui du stade orthographique). Cela contraint également Laura à vivre des moments d'insécurité, de fragilité intellectuelle, elle qui est déjà trop peu sûre.

 

3. Le dialogue que j'ai initié dès la récré suivante avec ma collègue du CE1, a mis en lumière cette "distance" et permis de dégager des pistes:

- travail en atelier dans la classe sur les règles phonologiques simples, pour renforcer les automatismes (et l'autonomie)

- pas d'évaluation dans l'immédiat des règles complexes, qui sont abordées en ce moment en classe. Elles nécessitent une stabilité phonologique première et sont source d'échec, donc de comparaison négative entre Laura et les autres élèves de la classe.

- poursuite de l'aide E afin de suivre "au plus près" le développement de Laura

 

Cette expérience souligne plusieurs choses:

- la nécessité de travailler au rythme de l'enfant. A ce sujet, les cycles (toujours pas appliqués), semblent être une réponse intéressante à la diversité des enfants.

- le besoin de formation continue sur les avancées récentes en matière d'apprentissage

- l'importance de la collaboration entre personnels spécialisés et enseignants

 

Guy TRIGALOT, Maître E. Rased "La Roseraie" Angers