Commentaire, pas à pas, du Rapport Ringard

par André INIZAN

Alors ministre, chargée de l'enseignement scolaire, Ségolène Royal a demandé à l'inspecteur d'académie Jean-Charles Ringard de constituer un groupe d'étude afin de rédiger un rapport sur l'acquisition de la langue orale dans le système éducatif.
Ce rapport a été publié par le ministère de l'Education Nationale. Le groupe, me semble-t-il, a déplacé l'objet d'étude vers l'échec dans l'acquisition de la langue écrite et pratiquement sans impliquer le système éducatif. Sollicité pour donner mon avis sur ce rapport, j'ai choisi de réagir librement aux passages (en italique gras) qui ont le plus retenu mon attention.

p.4 "un enfant dyslexique"

Comme si le concept allait de soi, le terme "dyslexique" apparaît de façon anodine. Il sera sans cesse repris, presque toujours sans guillemets, alors que la ministre dans sa lettre à Jean-Charles Ringard, s'était prudemment abstenue de l'utiliser.

Rappelons d'emblée que depuis plus de cent ans, la "dyslexie" implique une anomalie organique, cérébrale, faisant obstacle à l'apprentissage de la lecture. Or, en dépit des moyens récents d'investigation du cerveau, cette causalité n'est toujours qu'une hypothèse non confirmée.

Cependant, il n'est pas innocent de colporter une hypothèse en suspens, surtout lorsqu'elle est séduisante comme c'est le cas avec la "dyslexie" qui déculpabilise si bien tout le monde (l'école et les parents) quant à la source de l'échec scolaire, l'opinion a tôt fait de la transformer en évidence: "il est né comme ça, on n'a rien à se reprocher".

"ne pas savoir lire et écrire, ne pas savoir parler"

Cet ordre anti-chronologique apparaît à plusieurs reprises dans le rapport. Le "savoir parler" n'est-il pas premier, n'est-ce pas sur lui que se fonde l'acquisition du "savoir lire"? L'enfant totalement sourd sait ce qu'il en coûte d'apprendre à lire quand on est privé de ce savoir fondamental.

"une trentaine d'années"

1970, c'était l'année du colloque organisé par le CRESAS et qui a produit "la dyslexie en question", ouvrage publié en 1972 par Armand Colin, dans lequel ma contribution déplorait déjà "la pédagogie minimisée".

Je travaillais la question depuis un stage effectué en qualité d'étudiant au laboratoire de psychobiologie de l'enfant à l'hôpital H. Rousselle. J'y avais observé mes aînés explorer la "boite noire" de nombreux "dyslexiques" de 9/10 ans. C'est là que, déçu par leur vaine tentative de guérir, m'était venue l'inspiration de la Batterie Prédictive destinée à prévenir.

p.5 "humilité scientifique"

Effectivement, des chercheurs médecins qualifiés s'abstiennent de recourir au terme de "dyslexie" et sont conscients qu'ils cherchent, vainement jusqu'alors, à confirmer la fameuse hypothèse centenaire.

"controverse idéologique"

Personnellement, je ne suis animé par aucune idéologie sinon la recherche désintéressée de la vérité: je n'affirme rien qui ne provienne d'expérimentations que, pour la plupart, j'ai moi-même conduites et publiées.

"Du discernement. Comment différencier... un lecteur faible d'un enfant présentant un trouble spécifique?"

Et si la différence n'était que dans la tête de celui qui cherche à différencier

A l'occasion de la révision 2000 de nos batteries (nouvelle édition de Le temps d'apprendre à lire, EAP décembre 2000), il est apparu que 33% des enfants de 7ans plus ou moins six mois, ne savaient pas lire en fin de CP, alors que 17 ans auparavant, en référence aux mêmes critères bien entendu, leurs semblables n'étaient que 25%. Faut-il impliquer l'aggravation de cet effectif à un pic de l'épidémie?

Je propose une autre explication, impliquant le système de l'enseignement, dans la toute récente publication de: "Aperçus expérimentaux sur 35 ans d'enseignement-apprentissage de la lecture en France" (Psychologie et Education, n° 41, juin 2000).

J'ai moi-même, naguère, cherché les germes de la "dyslexie", vainement, au cours d'une de mes expérimentations fondée sur un suivi des élèves de 17 CP (Inizan 76). Deux ans plus tard, 13 sujets de la population expérimentale passaient pour "dyslexiques". Certes, certains présentaient au seuil du Cours Préparatoire un déficit à telle ou telle épreuve de la Batterie Prédictive, mais d'autres avaient des ressources cognitives satisfaisantes. Ceux qui, bien équipés au départ ont échoué et ceux qui mal équipés au départ ont cependant réussi n'avaient pas appartenu aux mêmes CP: décisives, les pédagogies que les uns et les autres avaient vécues deux années durant avaient suffi à redistribuer les carences comme les habiletés.

"seuil de dysfonctionnement"

Le seuil auquel je me réfère depuis son origine avec la Batterie de Lecture n'est nullement arbitraire. Il est établi par l'estimation moyenne des maîtres de CP qui, en fin d'année, distinguent ceux de leurs élèves qui savent lire et ceux qui ne savent pas. L'étalonnage de notre BL ne fait que chiffrer ce seuil moyen. Présentement, la procédure demeure. Ainsi, c'est de l'aveu même des enseignants, que 33% de leurs élèves ne savent pas lire.

p.6 "Face à l'échec profond...de 4 à 5% des enfants, l'école n'a pas à être exonérée de sa responsabilité pédagogique"

Encore que le rapport ne définisse pas le seuil de cet échec profond, que j'apprécie cet aveu! Il est tellement rare, notamment au sein de ce rapport. Et pourtant, cet aveu ne condamne nullement les maîtres qui font de leur mieux ce qu'on leur a conseillé de faire.

Malheureusement, cet aveu n'introduit dans le rapport que l'espoir d'un remède lié au "partenariat éducatif". Or, cet espoir est illusoire. C'est que l'horaire d'un CP n'est pas élastique: toute sortie des enfants de la classe, de même que toute entrée de personnages, réduisent le temps consacré à l'apprentissage de la lecture-écriture et par suite compromettent davantage encore son efficacité.

Sait-on qu'en trente ans, le temps cumulé annuel moyen que le maître de CP consacre à l'apprentissage de la lecture-écriture (disons le "temps brut") est passé de 420 à 250 heures. J'appelle "temps fécond", partie du "temps brut", la durée cumulée des regards de l'écolier attirés par l'écrit présenté par le maître. J'ai montré (Inizan 76) que "temps fécond" et "taux de temps fécond" étaient des indicateurs fiables du rendement de l'apprentissage.

Or, depuis, le "taux de temps fécond" n'a pas augmenté, au contraire. Ainsi, seuls les élèves d'avance privilégiés par la nature et/ou par la société peuvent désormais apprendre à lire au CP.

Quant aux pourcentages des enfants "présentant un trouble spécifique", toujours sans fondement expérimental révélé, ils varient en effet à la baisse. Mais si, depuis Debray-Ritzen, le pourcentage a baissé de moitié: de 8/10% à 4/5%, c'est sous la pression des objecteurs (parmi lesquels j'ai l'honneur de me compter): comment pourrait-on faire l'épidémiologie d'une maladie qui n'existe pas, du moins sans agent révélé?

Il reste que, en dépit de cette baisse, l'effectif facilement vérifiable des enfants-écoliers de CP qui souffrent de ne pas apprendre à lire s'est accru, atteignant 33% comme je viens de l'indiquer.

p.8 "Une scolarité lui permettant d'acquérir..."

"Lui permettant", c'est encore heureux! Pour moi l'objectif de l'enseignement est autrement ambitieux: il s'agit d'assurer en permanence le plein emploi des possibilités d'acquisitions de tout enfant-écolier.

"une approche différenciée"

Très bien! Malheureusement on se contente de "l'approche", de l'intention. Faute d'assurer l'équipement des maîtres nécessaire à la différenciation de leur action entraînant le plein emploi des possibilités de tous, la formule n'est qu'incantatoire et donc sans effets.

p.9 "égalité des chances"

Encore une formule incantatoire. En fait, dès la maternelle, dans les matières les plus cognitives comme l'acquisition des langages, l'école accentue les différences entre les enfants: elle est donc élitiste.

"accueil des enfants handicapés"

L'objectif de les intégrer autant que possible est souhaitable, mais l'atteinte de cet objectif est conditionnée par la personnalisation de l'enseignement et donc par l'équipement des maîtres en conséquence, ce dont il n'est jamais question dans le rapport.

"clarifier les objectifs pédagogiques en maternelle"

Mais l'objectif essentiel des maternelles n'y est-il pas clair? N'est-il pas le développement du langage oral dont se préoccupe justement S. Royal, développement auquel il importe d'ajouter la réflexion (métalangagière) par chaque enfant sur sa pratique de la parole, l'analyse de son écoute? N'est-ce pas beaucoup? N'est-ce pas assez?

Les jeunes de cinq ans sont justement "illettrés". Ils ont mieux à faire que de plonger dans le "grand bain d'écrit" (collectif) qu'on impose à tous et qui est responsable de la "vaccination" de la majorité d'entre eux contre l'écrit.

p.10 "les troubles d'apprentissage: un problème de santé publique"

Surprenante impasse du facteur pédagogique dans la genèse de l'échec scolaire! Une telle affirmation certes déculpabilise l'Education Nationale, mais elle n'est pas fondée.

Non, la souffrance d'un enfant de six ans sur trois qui n'apprend pas à lire tout au long de son année de CP, ne relève pas de la Santé Publique.

"des données épidémiologiques française et internationales"

Comment ose-t-on prétendre faire l'épidémiologie d'une maladie imaginaire? On ne recueille ici et là (à l'OMS comme au groupe Ringard) que des données anecdotiques et qui fluctuent sous les pressions des lobbies et de leurs contradicteurs.

Au sein du groupe d'étude animé par Coridys, j'ai récemment dénoncé la façon d'écrire la science de ces lobbies, façon qui préside sans doute à l'élaboration des recommandations des organismes internationaux qui malgré tout font autorité dans le monde.

Le groupe Coridys ayant déclaré forfait, ces groupes de pression, à mon insu sont revenus à la charge en s'investissant dans l'élaboration du présent rapport. Mais la vérité scientifique n'est pas plus une affaire de force que de majorité.

p. 11 "les troubles "dyslexiques" et "dysphasiques"

Encore un non-respect de l'antériorité, ici de la "dysphasie" (d'ailleurs dédaignée par le groupe). Chronique, ce défaut d'ordre, déjà signalé impliquant l'écrit (lire et écrire) et l'oral (parler), réapparaîtra avec la "dualité grapho-phonétique".

Saluons toutefois le recours pertinent aux guillemets. Il est dommage que ce recours ne soit pas permanent.

"la méthode globale dénoncée par les partisans des méthodes analytiques"

Combien de praticiens, d'inspecteurs, de chercheurs et de ministres de l'EN ont compris ce qu'est la "méthode globale"? Ici même, le rédacteur du rapport, qui l'oppose aux méthodes analytiques, signe son incompréhension puisque la méthode globale est analytique.

Dans "Et si la dyslexie n'existait pas" Psychologie et éducation n° 35, pages 26 et 27, je présente une saisie claire et simple, me semble-t-il, de la "méthode globale": refusant pertinemment de donner le "b,a,ba", la méthode "globale" (ou "naturelle") propose aux apprenants des écrits signifiants afin qu'ils les mémorisent et en extraient les invariants phonèmes-graphèmes et leurs groupements, tout ce qui constitue la combinatoire. Ainsi fondée sur la découverte des clés du savoir lire par l'apprenant à partir d'écrits sélectionnés, la méthode naturelle apporte théoriquement un progrès psychopédagogique considérable. Hélas, la pratique trahit la théorie par sa mise en œuvre au sein des classes, laquelle se caractérise par la profusion d'écrits quelconques, le non respect de l'heure et du rythme de chaque élève et finalement, en désespoir de cause, le recours au soufflage qu'on se proposait justement d'éviter.

p.12 "une bonne cinquantaine de définitions de la dyslexie"

N'est-ce pas en soi assez suspect pour condamner le concept si mal défini?

"une mauvaise maîtrise du langage oral...ayant précédé les difficultés en lecture"

Mais c'est la procédure logique, d'ailleurs le signe d'une éventuelle anomalie organique. Rappelons que le développement scolaire du langage oral était l'objet de la demande de la ministre.

"incapacité à identifier correctement les mots écrits"

Faute de recourir à des évaluations objectives en fin de CP, le présent rapport n'est pas en mesure de préciser que cette incapacité affecte la plupart des élèves de tel CP et très peu d'élèves, ou même pas du tout, de tel autre. Il manque ainsi l'occasion de révéler que la pédagogie est le déterminant essentiel de ces "troubles".

"grandes difficultés dans les conversions grapho-phonémiques"

Voilà de nouveau l'erreur chronologique. Ces conversions décrivent l'acte de lire, non pas celui d'apprendre à lire. Victime de la mode, le rapport escamote rien moins que l'apprentissage de la lecture lequel consiste à acquérir les modalités de la transcription de la langue (qui est d'abord orale), la maîtrise des relations (inverses): phonème(s)-graphème(s).

Les "grandes difficultés" en question viennent tout simplement de ce que l'enfant-écolier n'a pas appris à lire, essentiellement pour cause de carence pédagogique.

"méconnaissance des règles de conversion"

Voilà qui confirme l'indigence et le dogmatisme de la pédagogie régnante: elle donne les règles à connaître. Tout au contraire, la bonne pédagogie n'amène-t-elle pas l'apprenant à découvrir les règles à partir de son observation des faits bien choisis qui lui sont proposés?

"substitution...confusion"

Dans mes recherches expérimentales, par exemple "Analyse du savoir lire de 8 ans à l'âge adulte, (EAP. Paris 1998, page 82) je ne rencontre pas dans les productions écrites des enfants en grave situation d'échec les fameuses inversions que la légende depuis Orton attribue aux "dyslexiques".

"l'enfant peut lire les mots connus... l'attention est entièrement consacrée au décodage"

Soit, il reconnaît des mots connus comme il reconnaît des images figuratives connues; mais encore une fois, il n'a pas appris à lire notre langue alphabétique, faute d'avoir acquis à partir d'écrits choisis et "photographiés" la maîtrise des invariants phonèmes-graphèmes qui constituent la combinatoire. On fait ici sans le vouloir le procès de l'indigente pédagogie régnante, sans éclairer la mystérieuse infirmité organique.

p.20 "Ces chercheurs nient l'existence de la dyslexie"

Je devrais donc me reconnaître dans les propos qu'on prête à ces chercheurs. Or, je ne m'y reconnais pas, si ce n'est dans la dernière des causes citées de l'échec: "les conditions pédagogiques médiocres", cause essentielle pour moi, sinon unique.

"l'Organisation Mondiale de la Santé"

En dépit de son prestige, cet organisme n'est pas plus lucide (ou pas plus courageux) à dénoncer la pédagogie mise en œuvre ici et là et qui est au moins aussi indigente dans le pays où siège l'OMS qu'en France.

p.23 "les définitions conventionnelles d'inspiration médicale ne retiennent pas le terme de "dyslexie"

S. Royal non plus dans sa demande à J-Ch Ringard: prudence pertinente. Une exception de taille cependant, M. Habib intitule son livre: Dyslexie: le cerveau singulier.

p.24 "à la demande de l'Observatoire National de la Lecture"

Quelle illusion de croire que les organismes officiels sont scientifiques. Plutôt que de fournir des évaluations en pourcentages d'une précision ridicule (à une décimale près), l’ONL ferait mieux de préciser les circonstances de ces évaluations, les outils utilisés, la population sur laquelle elles ont porté, l'identité des opérateurs. Mais on ne s'improvise pas expérimentaliste.

p.26 "on peut admettre que"

Surtout pas: il faut ne rien "admettre": il importe de rejeter tout argument d'autorité. Cette accumulation de données disparates "noie le poisson". Il faut sans cesse rappeler qu'une hypothèse relève du langage scientifique, qu'elle est une affirmation sans ambiguïté que l'on ne pose que pour la vérifier à l'aide d'une expérimentation rigoureuse, répétable, qui débouchera sur sa confirmation ou son démenti.

p.31 32 "Le Haut Comité de la Santé Publique"

L'indigence de l'apport de ce Haut Comité en notre domaine ne mérite même pas sa reproduction.

"le rapport de la Conférence Nationale de Santé de 1997"

Il est un exemple du cloisonnement néfaste entre Education Nationale et Santé. Comment un inspecteur d'académie peut-il accueillir la revendication de l'exclusivité de la saisie médicale du premier des apprentissages scolaires fondamentaux? Si c'est pour disculper l'Education Nationale dans la genèse des échecs, il faut craindre que le refus de considérer les causes réelles qui sont d'ordre pédagogique repousse encore les réformes nécessaires et urgentes et aggravent la situation.

p.33 "l'intégration scolaire"

Redisons que ce concept fait honneur à l'Education Nationale, mais redisons aussi que l'intégration scolaire implique l'équipement du maître en supports didactiques capables d'assurer en permanence le plein emploi des possibilités d'acquisition de tous les élèves de sa classe, handicapés ou non.

p.34 "développement de la formation initiale des enseignants"

Soit, mais qui assurera ce développement? Les professeurs dits de psychopédagogie des IUFM, comme ceux des EN en leurs dernières années, ne sont ni des psychologues ni des pédagogues, ni surtout des chercheurs prêts à soumettre leurs intuitions à la rigueur des faits et donc à produire des connaissances nouvelles, scientifiques. Ils laissent, avec reconnaissance, aux maîtres formateurs le soin de transmettre aux élèves enseignants les "vérités pédagogiques" qu'ils ne peuvent détenir que par une genèse miraculeuse, comme par exemple l'une des plus fâcheuses: l'apologie pour les apprentis-lecteurs débutants de l'écriture "attachée".

p.35 "Apporter des aides appropriées"

Soit, mais d'abord aux enseignants qui, avec des armoires de documents disparates, demeurent les mains vides du nécessaire pour mettre en œuvre la "pédagogie différenciée" qu'on leur recommande justement de pratiquer.

"améliorer les conditions d'enseignement de la maternelle au lycée"

Très bien, mais à commencer par l'instauration de l'enseignement personnalisé pour les matières les plus cognitives, notamment l'acquisition des langages (verbal et/ou mathématique).

p.36 "rendre obligatoire un dépistage systématique de ces troubles lors du passage à l'école maternelle"...

Ce passage, sous entendu de la famille à l'école maternelle, est en France de plus en plus précoce pour de plus en plus d'enfants. Très bien! Un dépistage systématique peut alors être fort utile, mais à condition qu'il éclaire l'action scolaire et ne se réduise pas à déclencher des rééducations. Or, l'Ecole Maternelle Française vit sur ses lauriers. C'est bien à tort que le monde nous envie notre actuelle Section des Petits. Regroupant beaucoup trop d'enfants (de 2/3 ans), elle ne permet pas l'égalisation des chances qui pourtant pourrait le mieux être réalisée en cet âge tendre. C'est que, non seulement les beaux parleurs accaparent la maîtresse, mais les critères habituels de recrutement (être propre et débrouillé) en écartent les enfants qui en auraient le plus besoin.

Tout autre efficacité aurait la S des P telle que je la réclame depuis près de trente ans, notamment dans "Maternelle et Elémentaire, le point de fusion est atteint" La famille et l'école n° spécial FCPE 1974. Confiée à une spécialiste du développement du langage, elle ne comprendrait qu'une dizaine d'enfants tous parlant peu ou pas ou mal, quel que soit leur âge réel. Les jeunes "locomotives" fréquenteraient la Sections des Moyens sans préjudice pour personne.

p.37 "une formation spécifique des enseignants" pour "enfants atteints par ces troubles" en vue de "réduire les troubles de la lecture".

Les échecs dans l'apprentissage de la lecture sont trop sérieux pour être confiés aux spécialistes de la défectologie, médecins ou non. J'ai consacré trente ans de ma carrière (au CNPS) à la spécialisation des personnels de l'enfance inadaptée (enseignants, directeurs, inspecteurs). Cette expérience m'a confirmé dans des convictions: au lieu de lorgner du côté médical, rappelons-nous que la vocation des psychologues scolaires lors de leur création, était de "suivre tous les élèves et le maître comme leur ombre, en vue de promouvoir l'efficacité de l'enseignement pour tous" H. Wallon.

De nos jours, le Rased pourrait et devrait être l'indispensable antenne de terrain du laboratoire de psychopédagogie de l'université voisine. Mais le Rased désire-t-il cette promotion et le laboratoire cette coopération du terrain?

Bref, tant qu'on n'admettra pas la responsabilité de l'enseignement ordinaire, collectif et par suite inévitablement dogmatique et élitiste, tous les projets ne feront que reproduire ce qui a déjà été tenté et seront encore voués à l'échec.

p.38 "une observation longitudinale des enfants"

Redisons que c'est la vocation des Rased. Bien entendu, ils devraient être dix fois plus nombreux (un par école urbaine et secteur rural). Cependant, s'il ne s'agit encore que de saisies épisodiques d'examens de laboratoire reliées par les avis subjectifs des praticiens, c'est inutile.

Ce qu'il importe d'instituer c'est une éthologie de l'écolier à sa table de travail, au sein de sa classe en fonctionnement banal. Ainsi se révèleront des vérités indispensables à connaître dont jusqu'alors tout le monde se passe, notamment les membres du Groupe Ringard.

"aider l'enfant à communiquer"

Certes, mais quoi de mieux pour cela que son apprentissage réussi des moyens de communiquer: de la parole, de la lecture et de l'écriture?

p.39 "Le maître rééducateur intervient dans la classe sous la forme d'actions individuelles de 7 à 8 mn"

Editées en 1989 (2as), nos "activités préalables" offrent au maître, sans le secours d'une "doublure", des actions ajustées parce que personnalisables, minutieusement progressives, diversifiées à l'extrême, et qui durent (pour chaque apprenant au sein de sa petite équipe d'écoliers de même force) tout le temps de la séance (le temps du maître étant partagé entre les équipes presque autonomes).

p.40 "ateliers... classes spécialisées... prise en charge orthophonique...accès aux soins des enfants repérés porteurs de troubles du langage"

Redisons que les mesures ségrégatives et médicales déculpabilisent le maître, mais elles le désengagent aussi.

Alors que depuis 20 ans le niveau global des ressources cognitives (à la BP) des enfants de GS s'est élevé, leur niveau en "articulation-parole" a baissé significativement. (Aperçus expérimentaux sur 35 ans d'enseignement-apprentissage de la lecture en France" Psychologie et Education n° 41, juin 2000, p. 85).

Les suggestions du Groupe Ringard témoignent toujours de l'ignorance plus ou moins consciente de la nécessité d'envisager dans les classes ordinaires, pour les matières les plus cognitives, des plages d'enseignement réellement différencié, respectueux de l'heure et du rythme de chaque apprenant, garant de la réussite de tous à l'échelle des minutes et par suite du maintien de la motivation de chacun et de l'essor de son autonomie.

p. 41 "académie de Grenoble... outils testés et validés"

Ce que j'en sais, par la médiation d'un médecin scolaire qui vient d'y effectuer un stage, c'est que les matériels, tant d'évaluation que de formation, sont bien lourds en comparaison de notre Batterie Prédictive Abrégée 2000 et de notre programme personnalisable "2 as" d'"activités préalables". Je crains qu'ils ne conviennent pas plus au personnel médical qu'au personnel pédagogique.

Il est affligeant de constater que l'on cherche à grand bruit ce qui est sans tapage à la disposition de chaque enseignant tant pour ce qui concerne la formation ou la "remédiation" ("2 as") que l'évaluation (BP/BL, Echelle Composite, Analec).

42-43 "rééducations spécifiques...documents signés"

Il ne s'agit toujours que de "remédiation", avec en outre une bureaucratie lourde, voire une publicité tapageuse (les Lavandes).

45 "Insuffisances...des recherches"

Certes, mais ne sait-on pas que le MEN a toujours renoncé à instaurer de véritables recherches expérimentales visant le rendement de l'enseignement? Toute entreprise française se soucie désormais de la qualité sauf la plus importante de toutes.

Certes, les laboratoires universitaires poursuivent des recherches scientifiques, notamment en psychologie cognitive, mais elles sont entachées d'artéfacts du fait du renoncement à l'observation (éthologique) de chaque écolier. Sans remords, ils ignorent ce que chaque écolier, à sa table de travail, fait ou ne fait pas de ses ressources éventuellement bien connues pour avoir été explorées (en laboratoire). La pénétration d'une classe en fonctionnement banal est plus que jamais "tabou", perçue comme un acte de voyeurisme, accusation que même l'inspecteur redoute.

p.46 "interventions diverses dont la plupart ne sont pas évaluées...déficit de pratique langagière autour de l'oral... différenciation pédagogique peu fréquente"

Ainsi, le rapport fait tout de même des constats pertinents et des jugements lucides. Or, si ce n'était le boycott de mes travaux, les instruments d'évaluation validés ne manqueraient pas, ni les moyens didactiques de mettre en œuvre sans délais une pédagogie réellement différenciée, au moins comme amorce, pour le premier des apprentissages fondamentaux.

p.49 "le partenariat, élément clé de la réussite"

Voilà, en revanche, une affirmation que je dénonce. Le "partenariat", que j'ai déjà discuté ci dessus, gâche un temps précieux. Redisons qu'en trente ans, le temps annuel consacré par le maître de CP à l'apprentissage de la lecture est tombé de 420 à 250 heures.

"groupe de pression...lobbies"

Je ne cesse de les dénoncer: professionnels qui vivent de la "dyslexie", parents socialement privilégiés déçus par les médiocres résultats de leur enfant-écolier et qui se trompent d'objectif. Au lieu de militer en faveur de la promotion de la qualité de l'enseignement pour tous, ils réclament égoïstement ce qu'ils croient être l'intérêt de leur enfant: l'attribution des mesures déjà et justement prises en faveur des handicapés sensoriels et moteurs : allocations, classe spéciales, conditions privilégiées aux examens.

"faute d'une non-reconnaissance de ces déficiences"

"ces déficiences": il s'agit toujours de l'Arlésienne, c'est à dire de l'anomalie cérébrale qui fait obstacle à l'apprentissage de la lecture. Il serait tellement plus rentable et plus humain d'identifier et de supprimer le vrai coupable: la leçon collective, frontale, "expositive" et, quoi qu'on dise, au contenu le même pour tous les élèves à la fois.

"Au niveau international"

Nous n'avons pas à rougir de notre choix en faveur de l'intégration. Mais il nous reste à assumer les conséquences de ce choix ambitieux: équiper chaque maître des moyens d'assurer, pour les matières les plus cognitives, le plein emploi permanent des possibilités d'acquisition de tous ses élèves, handicapés ou non. Le monde ne serait pas surpris de devoir le déclenchement de cette mutation à la France inventeur de l'école publique.

p.57 "Ce rapport n'a pas vocation à faire œuvre scientifique...des incertitudes existent quant à l'étiologie, la sémiologie et la définition de la dyslexie"

Quel aveu ! Mais alors c'est un rapport de trop: le sujet de l'échec scolaire (car c'est bien de cela qu'il s'agit) est assez grave pour nécessiter d'urgence le recours à l'expérimentation scientifique. Non seulement l'opinion ne retiendra pas cet aveu du Groupe, mais elle sera dangereusement confortée une fois de plus dans ses croyances légendaires et ses revendications ségrégatives traditionnelles.

p.59 "le syndrome de dysphasie est plus homogène que celui de dyslexie"

Certes. Il est d'autant plus surprenant que le groupe soit resté quasi muet au sujet de la promotion du développement scolaire du langage oral, en dépit de la demande sélective de la ministre Ségolène Royal.

"centrée sur l'acquisition de la langue orale et écrite, une pratique pédagogique dès la maternelle revêt une dimension préventive pour nos enfants"

Cette relance de l'apologie de l'écrit en maternelle m'amène à relancer ma condamnation: n'en déplaise aux parents culturellement favorisés, le "grand bain d'écrits" et pour tous à la fois, voilà la grande erreur. Il est pourtant facile de voir l'ennui, sinon la souffrance, en GS, de la moitié des enfants affrontés à des écrits: ils se " vaccinent " contre, alors que l'autre moitié s'y intéresse plutôt moins que plus et qu'il y aurait tellement mieux à faire.

En 1968, les parents d’enfants précoces avaient obtenu leur admission au CP à 5 ans (plus ou mois 6 mois). Que les parents actuels réclament donc plutôt le respect permanent de l'heure et du rythme de chaque enfant.

p.60 "enfant atteint de dyslexie"

Incroyable persistance de la référence à une maladie sans fondement, sans agent avéré.

"partenariat"

Encore une fois, en cet âge tendre, ce saucissonnage est néfaste. Toute sortie des élèves de la classe comme toute entrée d'un personnage réduisent le "temps brut" (et par suite le "temps fécond" qui en est la partie précieuse) pour apprendre à lire.

C'est à se demander si finalement, l'acquisition du savoir lire par tous les écoliers, est bien l'enjeu du Groupe Ringard.

"Inciter les maîtres à développer des stratégies pédagogiques"

L'inspecteur d'académie président saurait-il assurer ce développement, et chaque professeur d'IUFM et chaque maître formateur? Moi qui fus instituteur, psychologue et inspecteur, sans recours à un équipement approprié bien maîtrisé, je ne saurais toujours pas assurer en permanence le plein emploi des possibilités d'acquisition de chaque élève.

Chaque praticien aurait assez à faire avec la mise en œuvre des supports didactiques sophistiqués que notre époque réclame. Ces supports il faut les lui offrir, prêts à l'emploi et bien sûr l'entraîner à s'en servir, tout d'abord à l'IUFM.

Bien évidemment, c'est à ceux qui présentement les incitent à "développer des stratégies pédagogiques" de concevoir ces supports, de les réaliser, de les expérimenter et d'en apprécier les vertus. Faut-il préciser que les manuels, bien que de plus en plus séduisants pour les élèves favorisés, ne sont que les supports anachroniques de la coupable leçon collective.

"Conforter l'activité des membres des Rased"

Mais quelle activité? Redisons que c'est à eux d'instaurer une éthologie de l'écolier. Toutefois, ils peuvent aussi jouer un rôle précieux dans la mise en œuvre de la pédagogie personnalisée.

p.65 ."réunion de synthèse"

Il appartient surtout à l'école de former, de développer. D'une façon générale, l'évaluation méthodique d'un certain enseignement n'est précieuse que dans la mesure où elle permet de promouvoir sa qualité, son efficacité en amont comme en aval de l'évaluation.

L'enseignement impliqué est d'abord l'enseignement ordinaire. Or, la première évaluation au regard de l'Education Nationale se situe au début du CE2. Sans compter ses autres défauts, cette évaluation est si tardive qu'elle est pédagogiquement inexploitable puisque les influences de la GS, du CP et du CE1 sur les écoliers évalués y sont confondues.

"l'indication d'orthophonie"

Paradoxalement, la potentialité de cette indication n'est peut-être pas étrangère à la baisse du niveau de l'articulation-parole en fin de maternelle déjà signalée. En effet, elle démobilise les enseignants quant au développement de la qualité du langage oral de leur élèves.

Il va de soi que l'instauration d'un enseignement personnalisé réduirait en fréquence cette indication aux seuls cas pathologiques, 1% peut-être, voire moins.

"compétence de la Santé"

Répétition pour répétition: le recours explicatif à la voie médicale a toujours été une échappatoire pour l'Education Nationale. Elle se trouve ainsi dispensée de se réformer, de chercher à promouvoir la qualité de l'enseignement ordinaire.

p.67 "Améliorer la prise en charge"

- en classe ordinaire avec des stratégies pédagogiques diversifiées"

Evoquons par exemple la trilogie souvent vantée: activité collective, puis activités diversifiées de groupes, enfin éventuelles activités individuelles pour ceux qui ne suivent pas. Or, cette trilogie au sein de la classe est psychologiquement indéfendable. En effet, le niveau de faible tonus psychique du contenu de ces activités individuelles, pertinemment choisi afin de permettre des réussites, ne peut nullement préparer les apprenants impliqués à profiter soudain (à la prochaine activité collective) du contenu commun qui sera offert à tous.

- en classe spécialisée pour les cas sévères (moins de 1% des élèves)

On a déjà eu, si souvent depuis 1909, date de la création des classes spéciales pour " les enfants qui ne tirent pas profit de l’enseignement ordinaire ", l'occasion de pratiquer tout cela sans résultats positifs décisifs, qu'on en est arrivé à limiter les ségrégations spatiales et à promouvoir justement l'intégration, sans en assurer il est vrai les implications d'ordre méthodologique.

"programme personnalisé"

Mais hélas on ne pense encore qu'aux "enfants présentant des difficultés et des troubles dans la maîtrise du langage" et non à l'enseignement pour tous. Donc toujours rien de neuf.

p.68 "obligation de participation de la famille"

Obligation incantatoire et donc vaine, comme si les enfants en difficulté n'avaient pas des parents, quand ils en ont, incapables de compenser les carences de l'enseignement scolaire.

p.70 "aménager les examens et concours"

...comme pour les handicapés sensoriels et moteurs. Voilà bien l'une des trois motivations des Apedys. Les parents qui veulent conférer à leur enfant le statut d'infirme ne redoutent donc pas les effets psychologiques de cet étiquetage. Que n'attendent-ils au moins la preuve de leur handicap organique, le repérage de "ce petit mécanisme qui, dans leur tête, ne fonctionne pas bien" (P.Debray). Ils éviteraient ainsi le ridicule de discuter de "la dent d'or de l'enfant de Bohème".

p. 72 "intensifier la formation des personnels... informer sur les troubles du langage oral et écrit... formation initiale, formation spécialisée... recommandations à tous les IUFM"

Et qui assurera ces formations? Au nom de quelles compétences? Qui changera l'hostilité à l'égard de toute expérimentation en goût pour la recherche scientifique, l'évaluation rigoureuse de l'efficacité de l'enseignement et la promotion de cette efficacité?

p.75 Le CNEFEI lui-même, compte tenu de son statut désuet, est toujours dépourvu des moyens d'entreprendre des recherches expérimentales. Il se trouve contraint de colporter les idées-forces à la mode, sans même pouvoir contribuer à leur critique.

Quant au Centre National de Formation des Inspecteurs, pépinière où s'élabore la diffusion de la pédagogie officielle? Il est absent du Rapport. Cette omission traduit sans doute la fameuse différence que le groupe Ringard entend conforter entre les enfants normaux et les enfants malades, infirmes, troublés.

Ne cessant de contester cette frontière, c'est la responsabilité le l'enseignement ordinaire que nous affirmons et que Ségolène Royal n'excluait pas.

"mutualiser les expériences"

Assez d'"expériences", de "recherche-action" où toutes les hypothèses se vérifient! Ces "expériences" ont fondé de façon illégitime de nombreuses pratiques pédagogiques néfastes.

Leur défaut principal est d'être conduites à la base par l'enseignant, à la fois juge et parti, appelé à recueillir des faits sans avoir l'opportunité de le faire. En effet, son recueil est forcément différé (la journée de classe durant, il a autre chose à faire) et les faits se ramènent à ses estimations, qualitatives et subjectives. Ainsi l'enseignant est de nouveau appelé à faire deux choses à la fois dont une au moins pour laquelle il n'est pas préparé.

p.76 "conduire des études épidémiologiques sérieuses"

Soit. Encore faudrait-il au préalable, comme première manifestation du sérieux dans le domaine qui nous préoccupe, avoir identifié le vecteur spécifique, l'agent responsable de la maladie "dyslexie".

 

Site d'André Inizan : http://pagesperso-orange.fr/andre.inizan/